Jean Pierre Schneider s’assied face à la toile. Une cigarette, une tasse de café, il attend. Non pas l’inspiration romantique mais, comme Bram van Velde, quelque chose de cette confrontation au vide, à l’aplomb, au mur blanc et verticale qui le salue. Cet aplomb du réel, sa présence antique ou moderne. Le voici bien en face avec sa liberté de peintre, à choisir un format, une teinte, une dominante sur laquelle viendront s’inscrire d’autres couches à la fresque, bleu sur blanc, ocre sur noir, surfaces à rayer, à cerner d’un bout de bois, à creuser comme la chaux. Inscrire : date, formes, sujet. Devenir sujet soi même, choisissant, libre face à la mort, face à rien. Sisyphe sa montagne, le peintre à pied d’œuvre.
Son sujet n’est pas un modèle, une référence. Le sujet est un geste du peintre : chuter, plier, ouvrir, balayer, s’envoler, regarder, être. Jean Pierre Schneider tour à tour plongeur, nageur, trapéziste, de ce bras là se projette dans l’avenir, fend l’étendue en lutteur de l’existence ou se retire et accueille comme on tient un bouquet. Il désigne l’après et l’avant au repli du geste, au retrait du regard de la servante, au ballant du trapèze. Il ouvre les bras, se gonfle comme la courtisane, dévale à la vitesse de la chute, implacable ou précise comme le pli du bliaud, ploie comme la piéta et remonte jour après jour d’une seule toile au risque initial qui est désir de peindre. Tel un athlète du temps, poète ou danseur, il endigue le courant aux portes d’eau, étreint son sujet, ferraille, écarte la matière ou l’inclut à grande foulée, à grande brassée, à grand coup d’aile et du regard entier déployant l’empan, l’œil du contemplatif alliant la souplesse du gymnaste à l’habilité du chasseur et l’endurance de l’homme
Puis posé à nouveau, retrouvant son souffle au fauteuil. Une cigarette, une tasse de café, attendre de porter la dernière touche, quelques chiffres un jour, une année, un instant extrait du néant.
Blandine Jeannest le 4 septembre 2014